Voilà onze mois, depuis février 2005, que les habitants du village de Bil’in luttent au quotidien contre la construction du Mur d’annexion et contre la confiscation de 60% de leurs terres.
Ce village de 1.600 habitants est à 16 kilomètres de Ramallah et à quatre kilomètres et demi de la ligne de 1967. Il couvre 4.000 dunums (environ 400 hectares).
Le Mur n’est pas en cours de construction sur la ligne de 1967 (la ligne verte) ni même à la limite de Modi’in Illit, la colonie actuelle de 32.000 habitants jouxtant Bil’in. Il déborde largement sur les terres de Bil’in pour permettre l’extension des colonies, la construction de nouveaux immeubles pour les colons. Le ministre israélien du logement a annoncé que le nombre d’habitants de cette colonie en 2010 serait de 150.000. Et le maire de Modi’in Illit vise même les 300.000 habitants.
Contrairement à la propagande israélienne qui présente ce Mur comme « sécuritaire », il s’agit bel et bien d’un Mur d’annexion créant de nouveaux faits accomplis sur le terrain : vol de terres et installation de colons.
Tous les vendredis (c’est un jour de week-end facilitant la participation d’Israéliens) Bil’in manifeste, avec la participation d’israéliens et d’internationaux, de manière non-violente et avec une créativité extraordinaire.
D’autres villages tel que Aboud adoptent les mêmes formes de lutte. D’autres encore observent pour voir si Bil’in gagnera son combat.
Ce n’est pas le premier village qui adopte cette forme de combat. C’était déjà le cas à Boudros, où la lutte a permis de faire reculer le Mur, et encore avant à Mas’ha.
Des jeunes israéliens et des internationaux avaient été invités par les palestiniens à participer à leur combat. D’étroits liens avec des palestiniens furent tissés, ils se sont approfondis à Bil’in. Le comité de village de Bil’in, qui a la direction sur le terrain, tient une réunion tous les mois avec la « Coalition israélienne contre le Mur » qui comprend dix organisations. Il en est de même avec les internationaux.
Alors que les manifestations sont non-violentes, l’armée israélienne d’occupation ne se prive pas elle de sévir avec des grenades lacrymogènes en tir tendu, des balles enrobées de caoutchouc, des bastonnades, des interventions la nuit ou même au cours des manifestations pour intimider, rafler, emprisonner des militants du village.
Dernièrement, refusant d’entériner la confiscation de leurs terres, les militants ont construit durant la nuit une petite maison en dur, de l’autre côté du tracé du Mur et l’ont appelé « Centre pour la Lutte Commune ». Quelques juifs orthodoxes de la colonie sont mêmes venus les aider à cette occasion. Les militants se relaient pour l’occuper jour et nuit. L’armée israélienne n’a pas, pour l’instant, osé la détruire car une procédure juridique est parallèlement mise en route contre la construction de nouveaux immeubles pour les colons israéliens sur leurs terres (quartier de Matityahu-Est). Conformément au droit international toutes les colonies israéliennes sont illégales mais ces nouveaux immeubles le sont également selon le droit israélien, aucun des bâtiments ne possédant légalement de permis de construire. Les terres ont tout simplement été volées à l’aide de documents falsifiés.
Vol et corruption : un système typiquement maffieux !
La lutte de Bil’in met aussi en évidence, une fois de plus, le processus d’enrichissement personnel de promoteurs israéliens, d’associations de colons, et de fonctionnaires, militaires ou civils, de l’appareil d’Etat israélien.
Comme l’indiquait le journaliste Akiva Eldar dans un article de Haaretz du 30 décembre 2005 :
« L’Administration Civile, avec la bénédiction du Bureau du procureur de l’Etat, s’est révélée le partenaire clé dans un système de contrats immobiliers que l’on peut qualifier de douteux.
Des sociétés immobilières, acquises et gérées par des dirigeants des colons et des agents immobiliers se procurent des terres grâce à des Palestiniens malhonnêtes et les transfèrent au conservateur des Propriétés du gouvernement de l’Administration des terres israéliennes. Le conservateur « requalifie » ces terres en terres d’Etat, les restitue aux associations de colons qui alors les revendent aux sociétés immobilières. De cette façon, il est sûr que les Palestiniens (qui sont soumis à la loi en vigueur dans les Territoires qui leur impute la charge de la preuve) ne pourront jamais réclamer la restitution de leur terre. »
Des entreprises, ou des personnes, qui prétendent avoir acheté de la terre de Bil’in n’ont fourni aucune preuve de propriété.
En juin 2002, un avocat, Moshé Glick, représentant une association de colons, avait déclaré sous la foi du serment que le mukhtar (chef du village) de Bil’in avait vendu la terre appartenant à un habitant du village. Mais cet avocat véreux n’était jamais allé à Bil’in.
Reinterrogé en novembre 2003 pour expliquer pourquoi il avait fait la déclaration en lieu et place du mukhtar de Bil’in, il réitérait sa déclaration en la justifiant par des considérations sécuritaires. Le même jour un célèbre agent immobilier israélien Shmuel Anav, qui n’en est pas à sa première escroquerie, est aussi venu déclarer que la terre avait été vendue à son fils qui l’avait revendue à l’association des colons.
Un « détail » : le mukhtar est décédé depuis quelques années, sa signature étant falsifiée par son fils.
Toutes ces escroqueries ne sont pas spécifiques à Bil’in, la méthode est appliquée à l’ensemble des colonies israéliennes. C’est un système maffieux.
La lutte de Bil’in se poursuit avec un soutien grandissant
Le vendredi 20 janvier, à l’approche des élections palestiniennes, la manifestation à Bil’in était encore plus importante que d’habitude avec plusieurs milliers de participants. Comme l’indique Uri Avnery :
« Tous les partis palestiniens participaient à la manifestation, avec les militants israéliens et internationaux. Ensemble ils couraient pour échapper aux nuages de gaz lacrymogènes, ensemble ils se lançaient à travers les rangées de soldats, ensemble ils étaient frappés. Les drapeaux verts du Hamas, jaunes du Fatah, rouges du Front démocratique et le drapeau israélien bleu et blanc de nos emblèmes [l’emblème de Gush Shalom est composé du drapeau palestinien et israélien côte à côte] étaient en harmonie, comme les gens qui les portaient. »
La conférence internationale qui se tiendra à Bil’in les 20 et 21 février 2006 sera encore un pas en avant dans la mobilisation contre le Mur et l’occupation coloniale israélienne, pour un soutien à cette lutte exemplaire.